Fatima

Ici, Ailleurs, je suis une étrangère.

On m’a déposée ici, sous un ciel éteint, j’ai atterri en France, il faisait gris, il pleuvait. J’attendais que le jour se lève, c’était l’après-midi, j’avais trois ans et demi. En voyant ma mère, avec ses nouveaux habits, ses petites chaussures pointues, ses collants, son collier de perles et désormais sans foulard, j’ai su que j’avais changé de culture. Ne restait de mon Ailleurs que des disques de chansons et le thé.

Mon père disait : « Nous sommes invités ici. Nous ne sommes pas chez nous ». Il ne fallait pas perdre nos traditions.

À la maison : français interdit ; à l’extérieur : arabe interdit. Il fallait être transparent, réussir mieux que ceux d’Ici. Il a fait changer notre nom de famille pour être plus conforme.

Ma mère s’est tellement conformée qu’elle dit « Merci » en boucle. On l’appelle « madame Merci ».

Le pays d’Ici, je l’aime, sa culture, son histoire. Je m’y sens bien, chez moi. J’ai eu mes filles ici, j’y ai vécu cinquante ans. Mais je ne suis pas d’Ici.

Une musique, une odeur, des souvenirs me ramènent constamment à mon pays d’Ailleurs. Il me manque très souvent. Toujours. Les deux me manquent, l’horizon qui n’est pas le même, les ambiances. Je suis étrangère aussi en mon Ailleurs. Je n’ai pas besoin de parler : à ma démarche on sait que je suis une émigrée. Mais choisir, je ne saurais pas. C’est une grande richesse que d’avoir ces deux appartenances.

À mes filles, j’ai transmis mon Ailleurs par la cuisine.

La théière est là en toute circonstance, moments heureux, malheureux, graves.

Je ne sais pas où je voudrais être enterrée. Je n’en sais rien et peu importe. Je n’arrive pas à me situer, c’est inconscient, et je suis tout le temps dans la justification.