Toujours regarder derrière, ne pas se contenter de l’évidence. D’ailleurs, quand j’écoute une œuvre nouvelle, c’est ce que je fais. Je considère que les sons que j’entends font partie d’un paysage complexe que je dois explorer. J’enlève progressivement les violons, les cordes, pour entrer dans la composition comme si c’était un paysage. Ce sont les preneurs de son qui m’ont appris cela : entrer dans la musique.
Entrer dans l’image, c’est pareil.
Encore une promenade dans Paris, sur le chemin de l’école maternelle dans laquelle mon petit fils m’attend : il sait que je vais venir pour chanter avec lui et ses copains, ses copines. Je pars toujours une heure ou une heure et demi trop tôt ; pas seulement une précaution, aussi l’occasion de faire des photographies dans les rues de ces villes que j’aime tant.
Aujourd’hui, je m’attends à trouver Paris recouverte d’immondices. C’est ce que disent les médias, j’avoue que c’est ce que j’espère : un mouvement social suffisamment fort et visible pour faire plier le gouvernement sur la réforme des retraites. Non, pas plus de poubelles débordantes, le ménage a été fait, ou les choses se passent ailleurs.
J’aime prendre des photographies dont l’arrière plan montre quelque chose. C’est bien pour cela que je refuse d’ouvrir le diaphragme de mon appareil photographique au maximum comme le font beaucoup de photographes. ƒ/5,6, souvent ƒ/8 maintenant, permet d’avoir un arrière plan légèrement flou, mais lisible. Le sujet net reste lui très apparent, il n’est pas perdu. Les objectifs que j’utilise, ici un merveilleux Zeiss 35mm ƒ/2 Milvus, peut-être mon préféré, a la réputation justifiée de permettre cela, d’étager les plans, de ne pas tout réduire à une image sur un rideau de douche !
« 147 fémicides en 2022 », et ça continue. Le quartier du canal Saint-Martin et la ville de Montreuil ont une importante activité de collage d’affichettes féministes qui m’émeuvent. « Tu nous 49.3 on te mai 68 », mais ce sont les bouteilles de bière qui joue le « hors sujet ». Cette perspective également, avec ces sujets debout, isolés. Seule la femme à la cane m’a regardé ; elle est inquiète des skatters qui passent tout prêt d’elle et qui l’effraient.
Quand j’ai pris la photographie de la fresque de la jeune femme objet sexuel, dans un passage de Montreuil, un homme s’est mis à rire : « Elle t’intéresse la meuf ? ». On a ri, certes, car la situation prêtait à confusion, mais je lui ai fait remarquer que ce qui était intéressant, c’était le graffiti, juste au-dessus de son épaule gauche : » Ce n’est pas un objet ». Il allait passer dans un passage, entre deux maisons, je l’appelle « le passage des matelas », là où dorment, sans doute des gens, pauvres, sans rien qu’une pauvre literie – peut-on appeler cela une literie ? – un endroit de reclus et de réclusion.
Et puis, souvent, des traces, des restes d’affichettes, d’affiches, comme autant de témoignages d’une lutte fondamentale toujours en cours.