Adolf
J’ai ma maison dans mon Ici, sur un tout petit terrain où je ne peux même pas faire un potager. J’y suis bien même s’il y a de plus en plus d’immeubles autour. Ce pays, pour nous, c’était l’Amérique. Là-bas, la vie était devenue très difficile. C’était la dictature.
Je suis venu Ici il y a quarante ans. Quand j’ai demandé la nationalité du pays d’Ici, j’ai dû répondre à une question piège : « En cas de guerre entre le pays d’Ici et votre Ailleurs, de quel côté serez-vous ? » J’ai répondu que nos deux pays étaient de grands amis et que je ne croyais pas qu’un jour ils se fassent la guerre. Je suis arrivé de mon Ailleurs comme un touriste mais je savais que je voulais rester Ici. J’ai trouvé un travail facilement et puis j’ai rencontré ma femme qui venait du même Ailleurs que moi.
J’ai travaillé dur. Dix heures par jour. Six jours par semaine. J’étais tourneur. J’avais appris dans mon pays d’Ailleurs. Je ne parle pas correctement la langue d’Ici parce que je n’ai jamais eu le temps de l’apprendre à l’école. Avec ma femme, parfois on dit des mots dans la langue d’Ici, parfois dans notre langue maternelle. On regarde la télé d’Ici et de là-bas. On compare.
Mon Ailleurs et mon Ici font partie du même ensemble politique. Même civilisation, même culture. Pour moi, il n’y a pratiquement pas de différence. Je trouve Ici tout ce que je pourrais trouver là-bas. Quand je suis dans mon Ailleurs, là-bas, au pied des montagnes, je dors beaucoup mieux, je respire mieux. L’air est meilleur.
Ma femme m’a proposé de retourner Là-bas. J’ai dit : « Là-bas ou Ici, ça m’est égal ». Je me dis qu’une fois Là-bas, peut-être je regretterai.
Je voudrais être enterré Ici. Je voulais acheter une place au cimetière, mais on ne peut plus.