Quatrième manifestation retraite. Celle-ci est joyeuse, mais furieuse. Les gens sont en colère, et leur ressentiment n’est plus dirigé vers le gouvernement, la première ministre, un ministre pale et traitre. Il est clairement dirigé contre le président dont un journal anglais vient d’écrire : seule sa stupidité dépasse sa suffisance.
La place de la Bastille est noire de monde, et l’on peine à se déplacer. J’ai pris un 35mm et un 100mm. J’aime les deux, comme tous mes objectifs d’ailleurs. Souvent je suis à environ deux mètres du sujet photographié et beaucoup me repèrent. Je ne me cache pas. Au 35mm les photographies de foule, les marches de l’opéra, la densité de la manifestation bloquée à l’entrée de l’avenue. Je photographie une jeune femme souriante, sa copine, qui est juste à côté de moi me dit : « Vous avez raison de la photographier, elle est belle ! ». J’ajoute : « Oui, et rayonnante, j’adore ». Elle me sourit, elle est flattée, joyeuse.
Ensuite, un jeune homme sur la rambarde du métro. Il me voit, me fait un geste amical de la main, je lui dis merci au loin. Je vais beaucoup remercier aujourd’hui. Et puis cet homme qui me salue. Les gens ne fuit pas mes photographies, c’est très agréable. Nous échangerons deux mots et ce n’est qu’au développement que je verrai la pancarte ordurière à sa droite. Plein de portraits, souvent je m’approche et je discute avec les groupes d’électriciens, de cheminots. Tous sont déterminés, heureux d’être là ensemble. Ce n’est pas une foule, c’est un agrégat de sujets qui font groupe, heureux du partage et de la réussite. Beaucoup regardent les photographies, interpellent les copains ! « Viens te voir ! ». Souvent je plaisante : « J’ai choisi le plus beau du groupe ! ». Ils rient, toujours la joie.
Christian accepte le portrait posé. Il se masque, pour se créer un rôle, tend ses doigts ! Non, sans les doigts, il se laisse faire. Nous discuterons quelques minutes, il est épuisé : « Dix jours que ça dure, plein de manifestations, de blocages… ce matin, on a fait un train bleu à 5 heures ! ». Il m’explique le train bleu, bloquer la circulation avec les camion d’EDF, faire un petit train de voitures bleu qui roule lentement sur l’autoroute. On se salue amicalement, toujours des poignées de main franches et sincères.
Quelques mètres plus loin, un « petit couple » est assis en hauteur. Je prends mon temps, ils ne me voient pas, elle rayonne elle aussi. Belle journée, dans la foule dense, sans jamais se sentir en danger. Jusqu’à la porte saint-Martin, les premières odeurs de plastique brûlé, les traces sur le sol, les black blocs, les idiots utiles des gouvernements, commencent à sévir. J’avais commencé à me rendre compte que la police n’était plus présente. Elle surveillait tous les carrefours, sauf depuis quelques rues. Rapidement, les pompiers sont intervenus, les CRS ne sont arrivés que quelques minutes après : est-ce qu’on a laissé le champ libre ? Écœurement. L’ambiance se tend, un macdo dégradé, des poubelles encore, et cet homme adossé à un abri-bus brisé, des flammes apparaissent dans son dos. Celle là, je la laisserai en couleur. Là aussi je ne verrai l’inscription sur son bonnet qu’après ; le hasard fait bien les choses en photographie.
Belle journée, belle série de portraits, sentiment d’amertume cependant, la crainte des incidents futurs, la peur des blessés et des drames. Mardi prochain, la suivante.