L'Escalier

Le « lieu singulier », arrive progressivement chez les personnes qui ont permis son édition participative, certaines avec des photographies correspondant au lot qu’elles avaient choisi. Une photographie provoque systématiquement une réaction : « Mais où est-ce ? qu’est-ce que c’est ? ». L’escalier, qu’on reconnaît facilement, fait penser au long cou d’un animal métallique, saignant peut-être de la gorge, escaladé péniblement par une théorie de personnes écrasées de soleil.
J’ai vu pour la première fois cet escalier monstrueux en sortant d’une grotte de glace, celle qui est creusée tous les ans au dessus de Chamonix.

J’y étais allé dans le souvenir des photographies du 19e siècle, prises au dessus de la ville que le glacier menaçait alors de destruction. Il faut maintenant plus de vingt minutes d’un petit train archaïque accroché à la vallée que le glacier ne descend plus, pour arriver au dessus de ce qui reste de la beauté sauvage. Mais ce train est ancien, et la gare est maintenant suspendue au-dessus du vide laissé par le reflux du monstre pitoyable : 550 marches, peut-être 600 à descendre, en ayant d’abord emprunté soit un téléphérique vertical, soit un chemin sinueux pendant 45 minutes. 

Au fil de la belle promenade, les plaques commémorent la lente agonie du glacier : ici, 1980, 1990… un chemin de croix, mais il n’y a pas de rédempteur, le désastre stupéfiant dans la chaleur et la végétation installées. Enfin, le chemin débouche sur l’escalier métallique qu’il faut encore descendre. Péniblement, croisant les touristes qui remontent. Et vers le bas, une étendue grise, sale, laide, le glacier agonisant. 

La visite de la grotte taillée n’a pas d’intérêt sinon l’étrange couleur bleue, et la fraicheur qui surprend. Le soleil n’en devient que plus pénible au retour à la lumière. Deux américaines se réjouissent du spectacle de la vallée, elles n’ont pas compris. Je leur explique, un peu fâché, en quelques mots anglais lapidaires, qu’il n’y a pas lieu de se réjouir d’avoir touché la disparition de cette merveille. Elles cessent de rire . Levant les yeux, je vois, écrasé par la hauteur de la paroi, l’escalier qui impressionne. Je prends rapidement quelques photographies, je sais que cela sera spectaculaire et triste.

La montée fut pénible, le choc entre la fraîcheur de la grotte et la canicule du fond de la vallée difficile à supporter. Et puis, surtout, la tristesse. Nous nous réjouissions de voir ce lieu, certes touristique, mais nous ne nous attendions pas à cela.

Où est-elles maintenant cette mer de glace qui n’en porte plus que le nom ? Elle disparaîtra, certainement assez vite, dans la folie d’une société qui ne veut pas changer.