Aujourd’hui, c’est exposition : Harry Gruyaert, au BAL, à Paris, porte de Clichy. Je connais très mal, ma culture photographique est encore récente, mais mon ami Sébastien m’en a dit le plus grand bien. Plus même, un choc.
60 photographies, des tirages cibachromes époustouflants, une lumière omniprésente, des aplats incroyables exceptionnels, et surtout, un regard, un œil. L’une des plus belles expositions photographiques que j’ai vues.
Et d’ailleurs, Harry Guyaert : « La couleur, c’est un moyen de sculpter ce que je vois. La couleur n’illustre pas un sujet ou la scène que je photographie, c’est une valeur en soi. C’est même l’émotion de la photographie« .
Je suis descendu à la station place de Clichy, arrivant un peu en avance. Sortant de la bouche de métro, un homme, dans un fauteuil roulant, tenait une pancarte sur laquelle était écrite son handicap, sa demande d’aide… il faisait face aux personnes qui sortaient et qui passaient à côté de lui. C’était peut-être le troisième ou le quatrième mendiant que je voyais en une demi-heure de transport. Des personnes silencieuses comme lui, un autre qui arpentait la rame en demandant une pièce, un peu d’argent, une litanie insupportable à laquelle il aurait pu ajouter « prends pitié », « Eleison« .
J’ai fini dans un parc le recueil de poème de Marina Tsvetaeva, « Après le Russie » que j’étais en train de lire. Dans le terrain de jeux pour enfants, caché de ma vue par une haie factice, une femme criait des incohérences. Mais où sont donc les soins ?
Puis, le choc esthétique. Quelle chance de pouvoir vivre cela, mais cela me heurte toujours, devoir faire abstraction du vécu récent pour voir des photographies. Harry Guyaert, toujours : « La réalité ressemble à un collage de Picasso dont les éléments n’étaient pas faits pour être mis ensemble, mais qui, soudain juxtaposés, signifie ici quelque chose qui était insaisissable avant. » Oui, c’est cela, une réalité fracassée qu’il faut faire tenir ensemble, l’art est là pour mettre des mots sur la vie.
Je suis sorti époustouflé, stupéfait de voir des couleurs partout, de larges aplats, des superpositions, des photographies partout, comme si mon œil avait changé pendant cette petite heure de visite, la banalité du quotidien qui ne demande qu’à être vue.
Je suis retourné vers la bouche de métro en photographiant. Une main douce dans le dos d’un homme, délicate, elle s’est levée juste au moment où j’appuyais sur le déclencheur ; un homme pressé marchant dans l’espace réservé aux cyclistes, des reflets, l’homme à bicyclette va-t-il tomber, à rouler en tenant une boisson à la main ?…
De l’autre côté du trottoir, où était écrit « Pas de planète B », l’homme sourd était toujours immobile sur son fauteuil roulant qui n’avait pas bougé. Les roues étaient coincées par deux canettes de boisson gazeuse placées derrière ses roues, il faisait face à la bouche de métro. Au-dessus de lui figurait une affiche : « La beauté du geste« .