Les photographies d’Avant-scène ont été prises en janvier 2020 lors de répétitions du Big band Paris-Vallée de la Marne dirigé par Frédéric Borey, dans le cadre du Printemps du Jazz. La longue crise du COVID a malheureusement empêché le projet d’aboutir comme initialement prévue. L’exposition, montrée pour la première fois dans sa forme actuelle, a permis un nouveau développement des photographies en noir et blanc pour la plupart.
« Avant-scène » : moment de l’émotion particulière, de l’entre-soi musical, répétitions, regards, partitions, les hésitations, les erreurs, le chef, l’autre… On prépare le concert, le public n’est pas convié. Chaque instrument implique, dans son rapport physique au musicien, un comportement singulier, des gestes plus ou moins ritualisés : s’accorder, ajuster une anche, un tuyau, un « bec »… chaque situation demande des postures particulières, des mouvements qui ne seront pas reproduits lors du concert.
« Avant-scène » cherche à montrer ces moments de l’intime musical entre l’instrumentiste et son instrument, entre les musiciens, avant le concert.
« Avant-scène » : Musicien, puis professeur de musique, chercheur en musicologie, chef de plusieurs ensembles professionnels de haut niveau, ou amateurs, je ne me souviens pas d’instants de ma vie sans répétition. Mes plus anciens souvenirs sont liés à cela, dans la cathédrale de Laon, avec des dizaines d’autres enfants, des dizaines de musiciens : un monde se construisait devant moi, merveilleux, enthousiasmant.
Plus tard, comme un cadeau qui m’était offert, j’ai répété parfois jusqu’au cœur de la nuit, jusqu’à l’épuisement, une quête musicale : mais que veut me dire le compositeur en écrivant cela ? Comment « l’interpréter » ? Comment reconstruire son monde par-delà les années et en faire le mien ?
Photographier une répétition, c’était chercher à capter les émotions des musiciens dans le dynamisme créatif, les moments intimes ou collectifs d’interrogation musicale, mais aussi comprendre ce qui se jouait. Je l’avais déjà vécu tant de fois : « Je connais vos réactions, je sais ce que vous vivez, ce qui vous enthousiasme et vous angoisse, là, maintenant ! »
Sébastien Souhaité, amateur éclairé de Jazz, ami écrivain et poète, a composé des poèmes sensibles sur les photographies que je lui montrais. Les textes ne sont pas liés à des moments particuliers, mais plutôt à des émotions. Ils ouvrent l’espace de la répétition et de la musique en le situant dans la poésie, un champ des possibles si vaste, d’émotions, un enrichissement.
Exposition organisée par la Direction des affaires culturelles de la ville de Meaux, le Théâtre du Luxembourg de Meaux, le collectif de l’Escapade, dans le cadre du 13e festival Meaux Blues, Novembre 2023
Remerciements chaleureux et amicaux à Frédéric Borey et ses musiciens et musiciennes pour leur accueil simple et sympathique, leur patience, et Didier Jalquin, président du Printemps du Jazz, pour l’organisation première de ce projet.
Attente
Attendre, souvent… La gageure : faire que le temps de chacun devienne un temps synchrone, appartenant à tous. Attendre le début de la répétition, attendre qu’on s’accorde, attendre car il faut passer du temps présent au temps musical. Se préparer, poser son anche, l’humidifier, la fixer, sortir ses partitions, s’accorder, se parler. Attendre l’autre qui a besoin de temps, il m’attendra tout à l’heure. Encore une histoire de temps qui passe, la vie quoi
Regards
« Regardez-moi ! » disent les « chefs », comme une injonction toute puissante. Ici, jamais, répétitions miraculeuses de joie et de concentration, d’estime et de confiance. « Voyez-moi, voyons-nous », le regard est la reconnaissance de la présence de l’autre, où les liens se tissent, où l’on fait groupe. Parfois, le regard est tourné vers l’autre, parfois vers soi-même, comme vers l’intérieur, un rêve peut-être. « Si on ne nous regarde pas, on n’existe pas » m’a dit un jour une élève sensible.
Partitions
La partition, c’est à la fois le graal, la terre promise ; elle est investie d’une fonction quasi religieuse. On s’y réfère, on essaye de la « déchiffrer », c’est-à-dire d’en déterminer les mystères et les secrets. Savoir lire la partition confère un pouvoir quasi magique. La partition permet aux musiciens de se parler par-delà le temps qui passe ; elle ouvre des mondes merveilleux.
Rires
Souvent, le rire fait exister l’autre, il implique toujours, ou presque, quelque chose d’extérieur à soi : le rire est une présence. Rire en répétition ? Une obligation, une nécessité vitale pour le musicien et la musique. On rit d’être trop sérieux, on rit de trop de concentration, on rit de soi, de plaisir, pour faire retomber une tension, quelquefois de l’autre mais c’est délicat, attention ! On rit parce qu’on est heureux d’être là. La musique rend joyeux.
Portraits
Mais comment me présenter ? Comment tenir mon instrument ? Douze portraits posés, certains voudront montrer quelque chose de particulier, d’autres resteront presqu’immobiles, chacun fait comme il peut devant l’objectif. Douze photographies où l’on voit, malgré tout, les tensions, les détentes, la lutte personnelle pour la musique.
Saynètes
En répétition, il se passe toujours quelque chose, il arrive toujours quelque chose, un moment de vie. On s’arrête, on cherche, on regarde son voisin, on vérifie ses notes : « mais où nous sommes-nous trompés ? ». On regarde ici, là, ailleurs, dehors peut-être. On dirige, on écoute, on fait semblant, une lutte parfois. On partage surtout, oui, c’est cela la musique, un partage d’abord, le partage entre pairs, entre musiciens, ici, maintenant. Il construit un monde, il essaye, il cherche, plus fort, moins fort. Il trouve, peut-être. Plus tard, un autre partage, le public et les musiciens, une salle, une autre histoire.