19-01-2023 Réforme des retraites 2023 (1)

Je ne sais plus quelle étude a écrit que les enseignants faisaient partie des personnes qui prennent le plus de décisions ! Des dizaines par heure de cours, des micros décisions avec effets immédiats, épuisant.

J’ai toujours été stupéfait de voir la salle des profs le 15 ou le 20 septembre épuisée après presque 2 mois de vacances, des gens aphones, malades, crevés. On ne dit pas assez que le groupe, l’hyper groupe pourrait-on dire, tout le temps dans l’activité collective, est usant. et le contact immédiat avec les problèmes sociaux de la société, souvent sans le comprendre tout de suite : l’enfant qui a entendu les problèmes de ses parents la veille, le matin, nous le dit tout de suite, souvent inconsciemment. C’est ça le transfert me disait Pierre Delion, faire en soit, dans son psychisme, de la place pour le psychisme de l’autre, et c’est de plus en plus dur.

Je ne suis pas allé à la mine. Mon père, après avoir fait une guerre honorable et glorieuse, a porté des sacs de charbon sur ses épaules, des cuisinières, des chaudières… il était cardiaque à 40 ans, il a tenu 39 ans de plus diminué. Il me disait, m’entendant raconter mes cours de musique, mes concerts, mes séjours dans des bibliothèques extraordinaires (10 jours dans la bibliothèque du Vatican, ça vous dit ?) : « on te paye pour faire de la musique ? » Il n’a jamais compris je crois.

À 58 ans, j’ai commencé à tomber malade. Pas grave, mais quinze jours d’arrêt par trimestre, au moins. J’ai arrêté la chorale du collège, trop physique 45 élèves, mon dernier concert avec eux a été le plus beau de ma carrière, je leur en suis infiniment reconnaissant. J’ai arrêté d’être professeur principal, la misère de certains de mes élèves de sixième minait mes nuits. J’avais mal dans le dos, la station debout et la station assise au piano des heures par jour (et un hyper développement abdominal contre lequel je lutte) en ont eu raison. Ça parle le corps, j’en avais plein le dos.

J’ai eu une chance extraordinaire, un métier qui a forgé ma vie, la musique, une expression culturelle épanouissante, la rencontre de l’autre,… j’ai mal aux genoux. Mon mal dans le dos a disparu lors du premier confinement, en quinze jours les douleurs étaient parties ! Hier, c’était drôle d’entendre les copains copines, des profs plutôt jeunes, me demander régulièrement « ça va ? », inquiets par mon activité pendant la manif !

Deux ans de plus m’auraient encore plus épuisé. Ils m’auraient aussi obligé à lutter contre un phénomène terrible pour moi : ne pas devenir un mauvais prof, fermé à l’élève et à l’autre.

La vie est belle, j’ai eu de la chance sans doute, la retraite s’annonce géniale, j’espère, je la souhaite à tout le monde, tôt, à mes filles, mon petit fils, promesse d’éternité, mes copains, ou juste l’autre en face de moi que je ne connais pas, un épanouissement, un nouvel épanouissement.

Je continuerai à manifester, je participerai aux caisses de grève.

Nous dansons sur les ruines mortifère du libéralisme, incapable de donner le bonheur au monde et à la terre : sur quelles ruines pourrons-nous construire un nouvel humanisme ?