Annie-Flore

J’ai fini par ajouter mon nom d’épouse à mon nom dit « de jeune fille » que j’ai gardé, mais il ne m’y réduit pas. Jeune enseignante, je suis partie enseigner la langue d’Ici dans un Ailleurs à peine né à l’indépendance. Mon père ne m’a pas transmis sa langue. La langue de mon Ailleurs. C’est un obstacle pour y accéder. J’ai essayé de l’apprendre, je n’y arrive pas. Je ne sais même pas prononcer correctement mon nom. Mon rapport à mon Ailleurs change avec le temps. Il y a dix ans, j’étais d’Ici, point. Maintenant, je cherche à tisser le lien avec ma famille de là-bas.
Ce qui m’intéresse c’est autant son histoire, sa culture que les rapports entre mes deux lieux, leur complexité. Mon métissage en est le résultat, comme un double lien. La musique, pour moi c’est très important et, de mon premier voyage au pays de mon ailleurs, j’ai rapporté un instrument de musique comme pour faire le lien. Je ne transmets pas bien mon histoire d’Ailleurs. Mais je suis complètement d’Ici, de ce pays et de sa ville capitale où je suis née, j’ai fait mes études, j’ai eu mes enfants.
J’aime la langue d’Ici. Je suis étonnée de l’importance donnée à la différence dans ce pays rare où il y a tant de gens d’Ailleurs multiples. L’administration d’Ici a joué à cache-cache avec ma nationalité comme avec l’âge de mon père.
Parfois mon mari me dit pour rire : « Tu peux aller y vivre ». Non. Je suis très bien Ici, et je n’ai pas réfléchi où je souhaitais être incinérée. Ce sera plutôt Ici.