Daniel

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Je m’appelle Daniel mais tout petit, pour me garder près d’elle, en mon Ailleurs, ma mère m’a caché et j’avais un prénom qui sonnait comme là-bas : Dany.

Mon père était venu d’Ici pour travailler dans mon Ailleurs, une lointaine dépendance. Mon père était d’Ailleurs, à l’école, j’ai dû me bagarrer pour ça. J’ai été obligé de quitter mon Ailleurs, d’y laisser ma mère, une déchirure. Dans l’avion, je me suis demandé :  » Quand est-ce que je reverrai Maman ? « . J’ai beaucoup pleuré, j’ai beaucoup pleuré.Quand je suis arrivé Ici, à 21 ans, en février, je me suis demandé comment j’allais pouvoir vivre dans un pays où les arbres étaient morts. Je ne parlais pas un mot de la langue d’Ici, sans contact avec mon Ailleurs coupé du monde.

J’ai travaillé dur pour m’appartenir : la chaîne, et j’ai appris la langue d’Ici, des cours le soir, différents métiers. Quelque part, j’ai quand même réussi. Étranger Ici, tu dois faire deux fois plus d’efforts pour être respecté.

Quand j’ai pu y retourner, j’étais étranger dans mon Ailleurs et pour ma mère, elle avait perdu la mémoire. Mais elle m’a reconnu dans la rue, elle m’a nommé : Daniel.

Je me suis marié avec une femme d’Ici. J’ai quatre enfants d’Ici qui savent quelques mots de mon Ailleurs.

Je ne comprends pas ceux venus d’Ailleurs qui n’aiment pas le pays d’Ici. L’Ici m’a recueilli, m’a donné une vie. Parfois, je l’ai détesté, mais c’est mon pays maintenant. Ici, c’est formidable. C’est la liberté. La liberté de dire ce qu’on pense, la liberté de bouger.

J’aime bien partager mon Ailleurs par la cuisine. J’ai besoin de retourner là-bas un mois, deux, pas plus, ça me ressource. Dans mon pays d’Ailleurs les femmes sont très importantes, courageuses. C’est pour ça que je porte trois statuettes de femme, trois régions de mon Ailleurs.

À ma mort je veux être incinéré mais je serai Ici, à côté de Maman. Je n’ai plus personne au pays.