Flore et Sonia

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« Mais nous avons rendez-vous à 18 heures ! ». Elsa répondait au message que je venais de lui envoyer pour lui dire que j’étais arrivé, à 16 heures. Je m’étais trompé, deux heures à attendre, avec un mal au dos tenace. J’avais glissé la veille sur le parquet fraichement huilé, une chute lourde qui laissait des traces.

J’étais venu au parc Chenonceau, à Meaux, pour photographier une famille. Un beau projet qu’on m’a proposé. L’adjoint au maire de la ville responsable des affaires culturelles avait ri en voyant ma réaction enthousiaste à sa proposition. Photographier des gens, il savait que j’allais adorer. Il s’agissait de préparer une exposition de photographies de familles de la ville, en grand format, affichées sur les grilles d’un parc.  Les familles me proposent le lieu, souvent je le découvre au dernier moment comme aujourd’hui. Je viens avec un flash puissant, je veux faire tout le projet en lumière mixte, j’adore cette technique.

Bref, mon matériel pesait sur mon épaule et mon dos endoloris, il me fallait retourner à la voiture pour le déposer dans le coffre, à l’abris des regards. Les deux dames assises sur le rebord de la grille du parc me voyaient passer devant elles pour le deuxième fois.

C’était l’Aïd, les femmes et les jeunes filles de ce quartier populaire de Meaux se promenaient habillées de vêtements colorés, chamarrés, aux tissus brillants et vifs, donnant un air de fête aux rues qui s’animaient en cette fin d’après-midi. Des garçons et des hommes portaient des longues chemises blanches élégantes.

Deux heures plus tard, je suis revenu chercher mon matériel, je suis repassé devant les deux dames qui étaient toujours là, et qui m’ont salué. La séance photographique avec Elsa, Jonathan et leurs deux enfants adorables Arthur et Charlotte fut magnifique ; les enfants riaient, Charlotte était délicieuse du haut de ses six ans, Arthur allait entrer au collège, je le sentais un peu inquiet malgré ses dénégations : « Tu sais, ça a été mon métier pendant quarante-deux ans, je sais ce que tu ressens, il est normal que tu aies un peu d’appréhension ! ». En confiance, je crois que j’ai pris des belles photographies, mais celles-là, je ne les montre pas encore.

Nouveau voyage vers ma voiture, je passe devant les dames pour la quatrième fois, elles se mettent à rire et j’entends l’une dire à l’autre : « Ce monsieur, je l’ai vu au moins… trois fois ! ». « Non, cinq je crois, peut-être plus ! » répondis-je en rigolant !

« Mais qu’est-ce que tu fais là ? » me demande sa copine, un peu avachie sur le rebord de pierre. « Je prends des photos, un projet d’exposition de famille ». Elle n’a pas de famille, elle me le dit, un peu triste. « Mais une famille, c’est aussi les copines, les copains ! ». Oui, dit la première, prends nous en photo !

Je pose mon lourd matériel, j’écarte le sac à main de l’une et je prends du recule. J’ai laissé mon 135mm sur mon boitier, tant pis, je n’en change pas. « Serrez-vous les copines ! ». Nous rigolons ! « Attends, j’enlève les bières ! » me dit la deuxième ! « Mais qu’est-ce que tu fais ? ». Je mesure la lumière avec mon posemètre, les gens sont toujours surpris de me voir faire. Nous parlons, nous rigolons, je leur dis que j’ai mal dans le dos, que je suis vieux ! Tout près d’ici, un vieil arabe m’a dit que j’étais un chibani, presqu’autant que lui !

« Je suis sûre qu’on a le même âge ! Je suis né le 5 mai 1960 ! ». « 22 mars 1960 ! je suis le plus vieux ! ». Je leur demande leurs prénoms : Flore et Sonia. Elles sont formidables, adorables, le moment est d’exception, simple. « Si tu repasses, on sera là, on est là tous les soirs en ce moment ! ».

Je repasserai certainement, d’autres familles veulent être photographiées dans ce parc, ce sera bien, je verrai mes nouvelles copines !

« Et toi, c’est comment ton prénom ? ». Jean-Charles, les gens sont toujours surpris, ils prononcent le A de Charles, un peu précieux, rare prénom.

« Au revoir Jean-Charles ! ». J’ai pris un numéro de téléphone, je leur enverrai la photo, je les trouve belles, et tellement sympathiques.

« Au revoir les filles ! ».

Elles rigolent, je ris en partant, la journée a été lumineuse.