La violoniste aux quatre saisons

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Aujourd’hui, marché à Douarnenez. Il ne fait pas très beau, un peu frais pour la première fois depuis le début de notre séjour, mais il ne pleut toujours pas. Il y a des nuages dans le ciel, j’aime les photographier. Il faut faire attention, souvent, ils sont bien plus lumineux que ce que la mesure de lumière indique. Le posemètre est trompé, mais je connais la technique, un copain photographe me l’a apprise : « tu vises le nuage le plus blanc, le plus lumineux, et tu compenses à +3,3 IL. C’est technique ; ça veut dire qu’on amène l’appareil photographique à la limite extrême de ce qu’il peut faire. Très efficace.

Le port est calme, toute la ville est calme en ce lundi matin. Quelques personnes discutent sur les terrasses, devant des bateaux immobiles. La halle, dans laquelle se tient le marcher, n’est pas bien grande. À l’entrée, un maraîcher vend de délicieuses tomates. Fort sympathique, il m’explique que ses oignons sont les mêmes que ceux de Roskoff que j’adore, mais il n’a pas le droit de le dire, question de terroir, « comme le pinard ». La marchande de légumes et de fruits, dans la halle, me parle des pommes de la région : « ne prenez pas celles-ci, elles sont de la saison passée, elles ne sont plus très bonnes ! ». Le boucher prend ma carte bleue et commente ensuite mon payement en regardant l’écran de la petite machine à carte bancaire : « c’est long, je suis en 2G… non 4G, 3G… ah non, je suis à nouveau en 2G… parfois c’est long » me dit-il, patient.

En sortant, pour acheter mes oignons, un violon se fait entendre. Il n’était pas là à notre arrivée. C’est très juste, élégant, surprenant. Une femme habillée simplement avec un grand chapeau qui lui fait de l’ombre sur les yeux joue les « quatre saisons » de Vivaldi, toute seule ! Elle enchaine astucieusement les thèmes célèbres, toujours aussi juste. Elle tient son archet sur la hampe, pas sur la hausse, à l’ancienne. Elle doit certainement jouer de la musique folklorique.

Un homme très rouge, maigre, vouté, titubant déjà au milieu de la matinée, s’approche et dépose des pièces dans la boite du violon ouverte aux pieds de la musicienne. Ils échangent un grand sourire. Lui retourne s’asseoir à quelques mètres de là sur un banc sous un arbuste épais, sa bière posée à côté de lui. La cave à vin devant laquelle la violoniste joue est fermée. Il danse, assis, les yeux fermés, ça lui plait Vivaldi.

Je m’approche à mon tour, pose une pièce dans la boite : « Une bretonne qui joue les quatre saisons alors qu’il fait beau depuis dix jours, ce n’est pas courant ! » lui dis-je en rigolant. Elle rigole à son tour : « Non, vous avez raison, vous ne verrez pas souvent ça ! ». Elle accepte la photographie en souriant ; mesure de lumière, une, deux, trois photos, je la remercie, la salue, fait demi-tour et reviens : « Je ne suis pas content du résultat ! ». Nouveau sourire, et là, c’est bon.

Un aveugle, canne blanche à la main arrive à son tour. Il demande tout haut : « Est-ce qu’il a des radis ? ». Tout le monde lui répond : « Oui, des rouges, des longs, des ronds… ». Il sourit. « Où est la queue ? ». Proche de lui, je lui réponds bêtement : « Là-bas ! ». Il rigole, gentiment : « Ah et bien ça va m’aider comme réponse ! », nous sommes plusieurs à le diriger en riant, moi un peu honteux : « Attention, il y a une marche, euh, non, un trottoir, euh, pas exactement… ». Je bafouille, une femme l’a pris par le bras et l’emmène en sécurité.

Nous nous éloignons de la petite place. L’ivrogne dansant me regarde et me lance un grand « Bonne journée » en souriant. La violoniste joue Bizet, un truc sur l’amour qui est enfant de bohème. Plus loin, on entendra quelques mélodies bretonnes.

Sur le quai, la lumière est devenue très belle. Je sais comment je développerai mes photos, un traitement un peu ancien, quelque chose qui donnera un aspect suranné, quelque chose de doux, comme cette matinée simple, tellement agréable.