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Le goût du couscous – Jour 4 : jusqu’aux rives de monde

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JUSQU'AUX RIVES DE MONDES…

Nous partons pour Ouargla, 540 kilomètres, six bonnes heures de route, nous devons arriver avant 17h pour assister à la soutenance de thèse de Mohammed, un cousin d’Amida, nous ne trainons pas. Nous dormirons peut-être là-bas.

Les routes sont toujours aussi chaotiques alternant barrages où je baisse mon appareil photographique et dos d’âne. Je passerai le voyage tourné vers la droite, fenêtre ouverte la plupart du temps, fasciné par les paysages changeants.

D’abord prendre ses précautions. Kader a besoin d’un thé, nous nous arrêtons chez un des petits marchants installés au bord de la route. Les panneaux sont bilingues : arabe et tamazight (prononcer tamazirt), un ensemble de langues berbères d’Afrique du nord. L’alphabet utilisé, le tifinagh, me fait rêver ! Il me paraît venir du fond des âges, il me renvoie aux lectures de Théodore Monod, mais aussi, paradoxe, de tous ces découvreurs des univers froids désertiques de mon adolescence. Je me souviens que les Inuits ont plus de quatre-vingt-dix mots et dérivés pour désigner la glace et la neige : combien y a-t-il de mots en arabe, berbère ou touareg pour le sable ?

L’autoroute est éprouvante. Elle recèle des dangers cachés. Mieux vaut rouler à gauche car les camions toujours surchargés défoncent la partie droite du bitume. Il faut faire attention aux ralentisseurs avant les stations-services, les barrages, les carrefours…, ralentisseurs qui peuvent être prévenus par un panneau 50 mètres avant, ce qui est peu, ou 10 mètres, ou pas du tout, ou après… Le panneau peut être entre deux ralentisseurs, c’est toujours un d’économisé. Le ralentisseur peut-être court, ou plus long, toujours très haut, les voitures doivent le passer en première et les planchers touchent souvent le bitume. Il y a parfois une ornière au sommet du ralentisseur, une variante perverse ! Le danger est constant. Kader finit par m’expliquer qu’il a repéré une voiture qui roule à la vitesse qu’il veut tenir et qui semble connaître la route ; il en surveille les feux arrières en espérant qu’ils ne soient pas en panne.

Et puis le sable. Saison des vents, il balaye la route, jaunit le ciel et l’ombre des nuages. Les concepteurs de l’autoroute l’ont oublié. La glissière centrale est en béton et l’arrête ; il s’accumule souvent sur la route, des « désableuses » doivent passer pour évacuer ce qui peut se transformer en plaques de « versable » glissantes.

Les stations-services sont délabrées, l’essence coûte peu, mais la somme des « peu », sur des salaires si faibles en Algérie, fait que cela devient cher. Il y a toujours une supérette et une petite salle de prière, la plupart du temps avec un minaret : ça peut servir, mieux vaut prévenir que guérir sur cette route. Les toilettes sont toujours accolées à la prière ! l’eau est centralisée, et l’on peut, après avoir satisfait ses besoins naturels, faire ses ablutions, s’il y a de l’eau. Ensuite on prie, on va reprendre la route.

Toujours, partout, omniprésent, le plastique, loin de tout, une pollution épouvantable. Kader arrête la voiture au milieu de rien, des dizaines de kilomètres de la première grande ville, un spectacle merveilleux et fascinant… il fait sa prière. « Mais est-ce que quelqu’un habite ici ? ». Il me montre les traces de roues qui partent à angle droit de la chaussée, vers le désert. Oui, il y a des gens, loin, qui vivent au milieu de ces immensités.

Une heure avant d’arriver, coup de téléphone et de théâtre ! Je n’ai pas le droit d’assister à la soutenance ! Ainsi, ça se confirme, après l’université française, l’algérienne me repousse ! ça me fait rire, mais ça arrange Kader ! Que faisons-nous ? rebroussons-nous chemin vers Ghardaïa ou continuons-nous vers Ouargla ? Je sens qu’il veut continuer notre route, il n’y est jamais allé. Il appelle quelques numéros, il faut trouver un lieu pour faire la sieste, Kader est un virtuose de la sieste !

C’est chez Driss que nous arrivons. C’est la première fois que je suis accueilli fraichement : « Ici, on est en Algérie, on parle arabe » me dit-il en français en me saluant rapidement sans me regarder. Kader m’avouera ensuite ne pas l’avoir prévenu de ma présence, Driss est surpris. Nous entrons dans une maison modeste, où on nous sert un thé et des gâteaux médiocres, mais nous les mangeons avec appétit. Nous n’avons rien mangé depuis le matin. Nous faisons la sieste, réparatrice, Kader met même son pyjama qu’il a toujours sur lui, un virtuose du sommeil vraiment !

À notre réveil, Driss est plus avenant. J’ai eu raison de continuer à sourire, la logique de l’autre, comprendre d’abord ce qui provoque des comportements singuliers. Ici, c’était la peur de ma personne, de ne pas être à la hauteur, du regard de Kader sur sa maison et son accueil… Mais Driss est attachant, bourru, émouvant. Il nous propose d’aller voir, à six kilomètres qui se transformeront en une vingtaine ,une avancée du désert de dunes. Il vient même avec nous. La route est à nouveau épouvantable, les rues sont défoncées, sales, les trottoirs parfois inexistants, et toujours des ralentisseurs. Les palmeraies poussiéreuses sont des dépôts d’ordures.

Les dunes sont merveilleuses ! Elles donnent à voir un monde exceptionnel, tout proche, je ne le verrai pas, un autre voyage peut-être. Quelques palmiers achèvent de donner l’impression du grand sud, mais ils sont entourés de déchets plastiques. C’est drôle de voir les enfants jouer sur les dunes de sable, les mêmes jeux ou presque que dans la neige ! Je suis fasciné, et Kader me rappelle que nous avons pris la décision de revenir vers Ghardaïa le soir même, et qu’il nous reste deux-cents kilomètres à faire en sens inverse, nous arriverons de nuit !

Le paysage me fascine toujours autant. Nous espérons voir le coucher de soleil, mais le vent de sable ne permet de voir qu’un disque argenté qui doucement descend. Sur le bord de la route, alors que l’obscurité tombe, un homme marche seul, des chaussures rapiécées aux pieds, il n’a pas de sac, juste une petite sacoche : il est noir, un malien peut-être, qui marche doucement à des kilomètres des premières habitations. « Nous n’avons plus le droit de les prendre en voiture, le gouvernement l’interdit » m’explique Kader. Des gens pourtant s’arrêtent parfois pour lui donner à boire, à manger, peut-être pour le conduire un peu au risque des barrages. Dans quelques semaines, le pauvre erre sera sans doute à Paris, au froid, sous un pont… Je suis atterré, bouleversé. C’est aussi ça le désert algérien, le Sahara, l’espace d’une errance autre que celle que je suis venu chercher, celle d’une survie au nom d’une communauté qui met ses espérances dans un de ses membres qui marche, longtemps, seul souvent, repoussé par le monde. C’est désespérant.

Arrêt pour mettre de l’essence, je vais aux toilettes, je cherche la salle de prière. Deux hommes parlent ensemble, ils me voient et me proposent spontanément de les prendre en photographie, Isham et Khaled. L’arrivée à Ghardaïa est très belle. Nous serons accueillis, mal, par le copain d’un copain d’un cousin qui fait partie de la communauté des Mozabites, une antique tribu refermée sur elle-même et qui cultive une mythologie d’accueil. Nous sommes fatigués, nous ne voulons qu’un lit, qu’un matelas, un sandwich mauvais trop gros dans un pain médiocre mais nous n’avons presque rien mangé de la journée.

Nous aurons, nous, un toit sur notre tête, le ventre plein malgré tout, de l’eau en bouteilles polluantes, pas de douche… Kader remet son pyjama, nous dormons.

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