« Notes de joie ? ».
Notes : la musique d’abord, comme une évidence. Je ne me souviens pas d’un moment sans musique dans ma vie, et je pense que mon premier souvenir est musical, en groupe, j’étais tout petit, certainement la maternelle, il y a si longtemps, une chanson pendant le spectacle de fin d’année. Et mon professeur de musique, le premier, celui qui m’a appris à lire et à jouer d’un instrument, monsieur Lebon, que j’aurais dû remercier, n’a eu de cesse de nous faire jouer ensemble, avec les copains du petit conservatoire de province. La musique, c’est d’abord l’autre, l’échange, le partage, le collectif. Une note toute seule, ça n’existe pas.
La musique a construit ma vie, mon métier, quelle chance.
Mais tout de même. Il y a une note de vanille, ou de cannelle dans ce plat dit-on, quelque chose qui vient, subtilement, après, comme un souvenir, une émotion. Note : une fragrance, un parfum. Il y a un parfum d’émotion dans cette posture, dans cette personne. D’ailleurs, il se passe toujours quelque chose quand on rencontre quelqu’un.
J’ai participé à l’appel à projet photographique « Notes de joie » de la maison des artistes de Villenoy pour la musique, pour la « note », sans m’apercevoir que cela m’entrainerait beaucoup plus loin. Comment photographier une personne, un groupe, sans chercher sa « Note », l’émotion dégagée, sans établir de contact ? Ce n’est pas possible pour moi, d’abord le sujet, l’altérité, l’autre ici qui me fait exister par sa présence. D’ailleurs, pour paraphraser le grand Winnicott, c’est comme une note de musique, une personne seule n’existe pas. Il disait « un bébé seul, ça n’existe pas », entendant par là, entre autres choses, que l’image de l’enfant se construit à travers le regard de la mère, du père : il se voit être vu. Une élève m’a dit un jour, en atelier philosophie : « si on ne nous regarde pas, on n’existe pas ». Quelle clairvoyance, quelle intelligence relationnelle chez une enfant d’à peine treize ans, peut-être moins !
Mais la relation est duelle. Tu te places devant mon objectif, je vais faire exister quelque chose de toi, je ne sais quoi, je n’ai pas la prétention, en 1/200e de seconde de savoir, mais je vais faire exister, j’espère, cette « note de toi », ce petit je ne sais quoi qui se dégage de toi. Merci de me faire ce cadeau.
Et moi ? Peut-on penser que la réciproque existe ? Évidemment, celui qui se met en face de moi, en face de mon appareil photographique, me fait ce double cadeau de sa présence et de ma présence. J’éprouve toujours de la joie à photographier pour cela, pour l’échange et le contact, la rencontre brève que j’essaye la plus intense possible. Qu’est-ce qui se crée entre moi et la personne que je photographie, le « sujet » dit-on ? Peut-être ce double espace psychique, celui qui s’ouvre dans mon esprit et dans le sien, un lieu inconnu qui permet d’accueillir l’autre. On n’est pas innocent de ce « transfert », car il s’agit certainement de quelque chose de cet ordre. Accueillir l’autre. Deux petits enfants, un bébé à peine marchant, Iris, et Ambre, même pas deux ans, nous l’ont fait vivre, à leurs parents et moi. Elles ont fabriqué ce lieu, cet espace « transitionnel » – encore Winnicott, quel génie – entre nous, ce lieu où nous avons pu déposer nos émotions, leurs rires, leurs joies, leurs craintes aussi, certainement devant ma barbe ! Mais elles ont provoqué « la joie », intense, belle, qui nous a tous, toutes, ému.
Il se crée, dans le temps de la photographie, un espace de partage, cette espace de quelques mètres, trois souvent, parfois moins, mais c’est difficile, ça déforme le sujet, l’optique a des nécessités, il faut être « à la bonne distance ». Mais alors, que se crée-t-il entre la personne qui regardera les photographies ? Que regarde-t-elle ? L’autre ? Elle-même ? Qu’est-ce qui se joue dans ce moment lui aussi bref du regard du spectateur ? Mon ami Sébastien l’a bien compris, on regarde le même et le différent, les deux visages, celui du spectateur et celui du regardé se répondent et dialoguent, chacun « s’envisage ».
Vingt-six photographies, deux développements différents, en noir et blanc et en couleur, en fonction du ressenti, de la « note dégagée ». Et puis, dans la « maison » des artistes que mes photographies auront la chance d’habiter, faire vivre le lieu comme un accueil : nous sommes chez nous, nous vivons ici, c’est là que nous faisons exister la relation à l’autre de ces photographies. Les photographies seront chez elles, dans des petites cadres sur la cheminée, sur les rebords des fenêtres comme posées là pour qu’on les touche, les retourne, suspendues en rideau, tournant sur elles-mêmes, vivantes.
EXPOSITION le SAMEDI 30 SEPTEMBRE 2023
MAISON DES ARTISTES DE VILLENOY
organisée par la municipalité et la maison des Artistes de Villenoy