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Muhamman

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Longue promenade dans Paris, du Trocadéro à la place de la République. Bon, j’ai un peu triché entre les deux en prenant le métro, mais j’ai quand même bien marché. D’abord, le musée de la marine. je ne me souvenais plus combien il était beau, de ces musées qu’on ne va pas souvent voir, comme son voisin le musée des monuments français qui contient des répliques en plâtre extraordinaires de monuments français. Un des plus beaux de Paris, assurément, avec le musée de la Chasse ! Leurs noms les désignent mal, il faudrait plutôt dire quelque chose comme « musée d’une vision du monde » ou « le monde vu par … ».Je suis allé voir la très belle exposition photographique consacrée à Jean Gaumy, photographe marin, des limites. Un humaniste, magnifique, des photographies impressionnantes, surtout les femmes « filetières », elles préparent les harengs pour un patron qui s’appelle paradoxalement « le porc ». Un film, court, est saisissant : elles chantent, en travaillant, et la beauté du geste répétitif auquel répondent les couplets d’allure populaire devient fascinante. Elles chantent, elles rient, elles s’amusent, une jeune fille les regardent (que fait-elle là, regardant peut-être ce que sera sa vie bientôt ?) et pourtant leur travail devait être épuisant. Elles m’évoquent « À la ligne », ce chef d’œuvre poétique de Joseph Ponthus qui se passe lors d’un autre carnage, celui d’une ligne d’abattoir.En sortant de l’exposition, je n’ai pas résisté à aller sur l’esplanade qui fait face à la tour Eiffel, un panorama que j’ai pu appréhender d’une manière extraordinaire il y a à peine quelques semaines. J’ai photographié, par la grâce d’une amie, deux ethno-musicologues dans les locaux du musée de l’Homme, un projet photographique magnifique dont je parlerai plus tard.À la fin de la séance, Suzanne m’a dit : « maintenant nous allons te montrer quelque chose ». Et ils m’ont emmené sur les toits du Trocadéro, plongeant sur la Seine, sur l’esplanade, à hauteur de la Tour Eiffel. Un paysage dans lequel on pourrait se perdre, complexe, une beauté à couper le souffle, montrant l’immense complexité des réalisations humaines. Curieusement, de cette hauteur qui serrait mon cœur, on n’entendait que les voix aiguës, des voix d’enfants, que des voix d’enfants, comme si les adultes n’étaient pas là, des cris joyeux comme dans une cour de récréation, et pourtant ce n’était pas une cour que nous voyions en bas, enfin, je ne crois pas. C’était le murmure du monde qui nous parvenait.Et ce Murmure est aiguë, c’est celui qui porte au loin, puissant. Il faudrait débaptiser le Musée De L’homme, et l’appeler maintenant : « le musée de l’enfant ».Et là, sur le parvis, j’avais la sensation de ne voir que des enfants qui s’émerveillaient du spectacle d’eux-mêmes, de ce qu’ils voyaient. Des hommes, des femmes de toutes nationalités, curieusement bigarrés, sauf les vendeurs à la sauvette africains qui avaient un œil sur tout. Ils ont repéré la police qui arrivait bien avant moi, me la signalant par leur soudaine immobilité, celle qui peut faire espérer qu’on sera invisible, mais prêts à partir. Une femme, sa robe à poix un peu ridicule, comme celle d’une petite fille qui se déguise en princesse et qui veut être photographiée, elle-même Tour Eiffel, je ne pouvais pas la manquer. Cinq jeunes hommes, cinq enfants là aussi, qui lèveront les bras le soir dans leur maillot du club de football qui sera célébré le soir dans les rues de la capitale et d’ailleurs : ils tendront les bras vers le ciel, heureux, comme une supplique. « Maman, prends moi encore dans tes bras, maman, aime-nous ! ». Et d’ailleurs, juste à côté d’eux, quelqu’un a écrit un « Maman je t’aime ! ». Et d’ailleurs, « jusqu’aux rives de monde, des enfants jouent ! » écrit Rabindranath Tagore, une phrase mise en exergue par le grand Winnicott, ses rives maternelles obscures si dangereuses qu’il ne faut pas que l’enfant s’en approche trop au risque de s’y perdre.

Ensuite, retour vers la gare de l’Est, je marche à partir de l’hôtel de ville, et je passe devant un chantier dans lequel j’ai déjà photographié un collage féministe. Sur le panneau de signalisation jaune, des tags, dont un que je n’avais pas encore remarqué. Pourtant, j’ai vérifié, il y était déjà il y a quelques semaines, une précédente photographie : « Aimer fait mal ? », une calligraphie qui se veut belle.

La place de la République est entourée de camions de CRS. Ce n’est jamais bon signe, dix, vingt, peut-être plus. J’ai l’impression de voir au loin un écran géant, peut-être la retransmission de la soirée footballistique qui se prépare. Mais non, trois manifestations colorées, je photographie, tant de police pour tant d’humanité, je suis stupéfait.D’abord, les tchadiens, qui demandent la libération d’un opposant politique emprisonné. Les gens me laissent passer : « Etes-vous de l’AFP ? ». Je dis non, ne pas mentir, leur désir d’être entendu est fort. À droite, Gaza, encore et toujours, jusqu’à quand l’horreur. Une jeune femme au visage extraordinaire est assise, je me prépare à la photographier et à ensuite lui montrer la photographie. Souvent je fais cela, les gens apprécient. Malheureusement, elle se lève trop vite, me voit dépité, et sourit. Je lui parle un peu, je n’aurai pas la photographie, les plus belles sont toujours celles que l’on manque et qu’on conserve dans sa mémoire.La troisième manifestation est camerounaise, de loin la plus nombreuse. Les gens là aussi s’écartent devant moi. Un homme est assis sur la fontaine. Son maillot lui entoure la tête curieusement, comme un pharaon. Je lui montre mon appareil, il accepte la photographie. Je demande à un autre ce qu’il se passe. Il me répond avec une gentillesse douce. Là aussi, je lui demande la photographie. Il accepte, et m’écrit son nom sur mon téléphone. Il aura sa photographie Muhamman, belle rencontre, courte, simple, le plaisir aussi de la photographie de rue. Il m’a montré la diversité de la foule sur la place. Pas tant que cela pourtant, essentiellement des africains camerounais. Il me dit : « C’est ça la France ». Je lui réponds : « c’est ça l’humanité ». Nous nous serrons la main, nous nous quittons en souriant. La statue de la République, envahie d’une foule bigarrée, un espoir, pour lequel il va falloir lutter, intensément, l’autre comme miroir, comme partie de nous-même, la vie.

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