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l’Écrit, les Cris des murs

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Souvent je me promène dans les rues de Paris, de Montreuil où d’ailleurs, une errance, juste regarder les gens, les lieux, la banalité du quotidien, photographier. Fréquemment, mon œil est attiré par des collages sur les murs, de grandes lettres collées sur des feuilles au format A4 ou des bandes de papier blanches, des collages féministes. Toujours en noir et blanc, tracées au gros marqueur ou au pinceau, ils sont comme des cris puissants, des slogans visuels et sonores. La plupart du temps, ces courts textes sont écrits en lettres capitales, la lettre du haut de la casse des anciens typographes qu’ils devaient saisir en tendant le bras.

« ÊTRE IVRE N’EST PAS CONSENTIR ».

La capitale est polie quand elle se cantonne à la première lettre de la phrase ou du nom « propre » ; elle crie, elle hurle quand elle envahit la phrase et le mur. Et on imagine sans peine le temps qu’il a fallu pour la choisir, la tracer, une par une sur des feuilles individuelles qui feront corps, puis coller l’ensemble, un temps certain.

Souvent, les collages sont en parties effacés ou arrachés. Il reste des bribes de message, des mémoires comme un lointain écho, comme si le cris retombait doucement au silence.

S’instaure parfois sur le mur un dialogue entre la colleuse et l’arracheur. Car il s’agit d’arracheurs, d’hommes, pas de femmes, on ne discute pas cela : « Toi qui arraches, es-tu un violeur ou un lâche ? ». Et d’ailleurs, les messages s’adressent souvent à lui, au-delà du slogan : « Être ivre n’est pas consentir. Ce n’est pas parce que j’ai apporté une capote que j’en avais envie. On ne tue jamais par amour. Arrêter de nous tuer ». Les murs crient, supplient, implorent, revendiquent et apportent du soutien et du réconfort : « Tu n’es pas seule ! » à la femme âgée peut-être qui passe, courbée, devant le mur. A-t-elle vu le message ? et puis des noms, qu’il faut garder en mémoire.

Les photographies de cette série sont prises depuis plusieurs années. Elles sont présentées par ordre chronologique. Dans son intégralité, cette série comporte plus de soixante clichés ; elle est malheureusement « in progress ». On y lit l’évolution récente de la société, des dénonciations du gouvernement masculiniste, du procès de Mazan et du courage de Gisèle Pelicot : néologismes (guérissœurs), mots réapparus (adelphes). Un graf, dans un passage caché de Montreuil, montre une jeune femme outrageusement sexualisée, cheveux doucement négligés, lèvres entrouvertes engageantes, décolleté profond… mais une main anonyme a corrigé : « ce n’est pas un objet ». Il faut se rapprocher pour le lire. « Gouverné-e-s par la culture du […]ol » ; en dessous, en partie recouvert par les feuilles collées : We got so much love to give. Les messages se superposent, se répondent, se combattent.

Les murs crient, et revendiquent : « Arrêtez… » et puis souvent, « je te crois ! ». Car c’est d’abord de cela qu’il s’agit, la victime, d’abord, entièrement. On n’est pas « victime mais… » ; un victime est inconditionnelle. « Je te crois », dans son urgence et la brièveté de son message, est peut-être le cris le plus fort : je te crois, je sais que « “Les femmes sont violées” / ils violent les femmes ».

Et puis, le dernier collage, immense, tragique : « À nos adelphes assassiné.es, nous ne vous oublierons jamais », longue litanie de prénoms et de dates, comme un « monument aux mortes », à la mémoire d’une guerre qui ne finit pas.

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