Le psaume 137 (136 dans la Vulgate), raconte l’histoire de la chute de Jérusalem et d’exile à Babylone après la chute du temple.
Tout est dit, à partir de là, seul le malheur peut advenir.
J’ai fait chanter ce psaume, peut-être la plus extraordinaire musique que j’ai jamais lue et dirigée, 13 minutes ininterrompues, une rhétorique puissante, des effets d’une profondeur exceptionnelle. C’est une œuvre que j’ai transcrite jeune chercheur, à la main, en tirant les barres de mesure, en écoutant voix à voix la musique advenir dans ma tête, stupéfait de la beauté de l’introduction, du chemin insondable parcouru dans la douleur et la vengeance, la gorge nouée.
J’ai souvenir d’un copain excellent violoniste nous entendant jouer cette pièce en concert, et se précipiter vers moi à la fin, stupéfait de ce qu’il avait entendu, et pourtant…
Pierre Bouteiller, « Super flumina babylonis ». La plus belle musique que je connaisse.
Il suffit presque d’inverser les noms des peuples, et l’histoire se répète. C’est à pleurer, et ce psaume est dans mon esprit depuis le 7 octobre 2024, « heureux qui te rend la pareil », au centuple et plus même, le psaume de la vengeance, « œil pour œil, dent pour dent, fracture pour fracture » écrit la Bible.
Je mets le lien vers la musique, attention choc esthétique à venir.
Manifestation en soutien au voilier arraisonné par la marine israélienne place de la République. Je me suis peu exprimé sur ce désastre en cours depuis un an et demi, je suis terrifié par l’idée d’un propos antisémite, islamophobe, raciste, tant le terrain est miné, où les mots ont des sens qu’ils nous échappent. Je suis surpris par le monde, sérieux, triste parfois, bruyant. Beaucoup de slogans, c’est Gaza et la Palestine qui sont criées, bien plus que le navire arraisonné. Très vite, je vois une enfant sur les épaules de son père. Elle porte un casque sur les oreilles, la foule est bruyante. Et très vite, aussi, je reconnais Fatma. Nous sommes amis sur Facebook, peut-être un projet à venir ensemble avec d’autres, j’y travaille, nous sommes ravis de nous rencontrer, mais nous oublions de nous prendre en photographie. La foule est dense, je repars dans ma chasse photographique.
J’aime, même dans ces conditions tragiques, photographier les manifestations. Il y a pas mal de temps que je ne l’ai pas fait, peut-être une fois il y a un an, pour les Victoires populaires et cette lutte contre les fascistes du RN.
Partout des femmes qui semblent mener les choses, ce sont leurs voix qui crient ! Quand viendra le temps des femmes ! J’aimerais tant que la « gauche » le comprenne et favorise une candidature féminine en 2027. J’entends d’ailleurs, je crois, la voix d’un vieux mâle pas décidé à laisser sa place prononcer un discours. Je ne suis plus dans l’axe de la place, je ne le comprends pas.
Les CRS essayent de contenir la foule à la place, mais rien n’y fait, elle est trop nombreuse, et déborde sur le boulevard qui entoure le rassemblement. Tout se passe bien, même si à nouveau, pas ou peu de RIO, des visages couverts. Une CRS est étonnante, prête à user de la force, maquillée, des faux cils, elle me voit et évite mon objectif. Mais j’ai mis mon 18mm. Une focale très large, qui fait croire qu’on est en dehors du champ ! La photographie est prise.
Une jeune femme passe devant la rangée de CRS qui ne sert plus à rien. Lina je crois. Elle porte un sweet vert Palestine, la photographie sera belle si j’arrive à la prendre devant la police. Elle va trop vite, elle passe devant moi, je l’interpelle. « Tu ne peux pas passer à nouveau, la photo sera belle ! ». Elle accepte, se met sur le côté, mais les CRS ne sont pas dans le champ ! « Non, ici ! ». Elle rigole, elle pose, je lui montre la photo ! Superbe ! « Est-ce que je peux l’avoir ! ». Voilà, c’est fait !
La République est belle avec tous ces drapeaux. Un garde rouge en uniforme, enfin, je crois, sa casquette de prolétaire asiatique à l’étoile rouge sur la tête, est sur la fontaine ! image incroyable ! Mais que fait-il là ? Je le prends en photographie. Je crois qu’il m’a vu, il n’a rien dit. Deux jeunes filles sont assises devant le lion. Elles me voient, elles, et sont contentes que je les prenne en photographie. Deux femmes collent, sur le mode des collages féministes, un slogan : « Vive la lutte du peuple palestinien ». Le collage se reflète dans l’eau. Je veux prendre ensuite un tag qui vient d’apparaitre sur le support de la statue : « FREE GAZA », maladroitement écrit. Et là, la chance, mais aussi la patience, j’ai attendu une situation, un drapeau, et puis une rafale photographique qui permet au drapeau de se placer exactement comme il faut : Le collage est maintenant enveloppé du drapeau qui décrit une belle arche au dessus de lui, Free gaza au dessus et tout en haut, que je n’ai vu qu’en développant la photographie : PAX.
Oui, mais… « Heureux qui saisit tes enfants, et les écrase sur le roc ! » dit le psaume 137.
Gaza, les larmes, les harpes suspendues, le chant arrêté, la mort partout, l’horreur.
Je hais les millénaristes, je hais les religieux, ils sont le malheur du monde.
L’horreur.
Super flumina Babylonis, sur les bords du fleuve de Babylone.
Sur les bords des fleuves de Babylone,
nous étions assis et nous pleurions
en nous souvenant de Sion.
Aux saules de la contrée
nous avions suspendu nos harpes.
Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants,
et nos oppresseurs de la joie :
Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
Comment chanterions-nous les cantiques de l’Éternel
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite se dessèche !
Que ma langue s’attache à mon palais,
si je ne me souviens de toi,
si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie !
Éternel, souviens-toi des enfants d’Édom,
qui, dans la journée de Jérusalem, disaient :
Rasez, rasez jusqu’à ses fondements !
Fille de Babel, la dévastée,
heureux qui te rend la pareille,
le mal que tu nous as fait !
Heureux qui saisit tes enfants, et les écrase sur le roc !